Depuis quelques années, l’intimidation en milieu scolaire s’est vu devenir un sujet récurent sur les médias sociaux, resurgissant de temps à autres, habituellement suite à des suicides d’adolescents. Mais qu’en est-il, dans les faits, de la place qu’occupe l’agressivité dans le cursus du développement humain et de ses liens avec le processus de socialisation. À t’il une quelconque utilité ? L’agressivité est-elle innée ou bien s’agit-il d’un processus d’apprentissage vicariant ? Pour notre part, nous tenterons de démontrer que les comportements agressifs sont utiles à l’adaptation sociale normale de l’individu et que ces comportements sont en nous depuis les premières années de notre vie et qu’une série d’apprentissages doit être faite pour moduler cette agressivité de façon saine et socialement acceptable. Bref, au contact de la société, par la socialisation et les conséquences à nos actions, l’agressivité est contenue pour atteindre à des modes comportementaux plus adaptés.
La socialisation par l’imitation de modèles
Premièrement, afin de démontrer que l’émission de comportements agressifs peut comporter une composante d’apprentissage, nous citerons deux recherches démontrant le lien entre l’exposition à des modèles violents dans les films dont l’une fait état des effets immédiats et l’autre, des effets à long terme de l’exposition lors de l’enfance et l’augmentation de comportement agressifs.
Dans la première étude (Bandura, Ross et Ross, 1963), l’expérimentation suivante fut mise en place afin de vérifier l’influence de modèles sur le comportement des enfants. Ces derniers furent séparés en quatre groupes, dont deux étaient des groupes expérimentaux où chacun d’eux fut soumis à différente situation expérimentale.
La première situation consistait à présenter, dans une salle, une vidéo où deux enfants se disputaient pour des jouets et dont l’un d’eux était un modèle agressif récompensé qui utilisait des objets pour agresser son compagnon. Donc, ce dernier dominait le conflit par l’émission de comportements agressifs et il gagnait les jeux ainsi que d’autres avantages, tels de délicieux biscuits.
Le second groupe expérimental était mis dans la même situation, mais en présence d’un modèle agressif puni, c’est-à-dire que ce dernier se faisait punir par l’autre enfant et qu’il ne gagnait aucun avantage, les jouets restant en la possession de l’autre enfant.
Les deux derniers groupes agissaient à titre de groupe contrôle. Le premier fut mis dans la même situation de visionnement, mais avec un court métrage où les modèles n’étaient pas agressifs, mais où ils argumentaient avec vigueur. Le second groupe contrôle n’eut pas d’exposition à des modèles.
Par la suite, chacun des groupes fut amené dans une pièce adjacente où se trouvaient les mêmes objets que dans la vidéo afin de déceler les comportements agressifs ou l’absence de ceux-ci. De plus, les enfants furent amenés à préciser le personnage qu’il préférait dans la vidéo. Les résultats furent les suivants.
Les enfants soumis au modèle agressif récompensé ont démontré plus de comportements d’imitation de l’agression et ont préféré le personnage agressif. Dans le groupe où le modèle agressif puni fut montré, les enfants n’ont pas démontré de comportements agressifs et n’ont pas préféré de modèle en particulier.
Nous pouvons donc comprendre de cette étude que l’émission ou la non-émission de comportement agressif peut être associée à l’apprentissage vicariant par l’observation des conséquences observées chez les modèles présents dans les courts-métrages.
L’importance des modèles auxquels les jeunes se réfèrent est important. Pour reprendre l’idée de l’intimidation à l’école, plusieurs réflexion peuvent être faites ici, non pas à savoir qui est responsable, mais bien qu’elles sont les processus en causes. Nous offrons des modèles de violence aux jeunes et par la suite, nous nous surprenons qu’ils agissent avec agressivité. Et comme bon objecteur de conscience, un certains nombres de personnes ont condamné la situation en intimidant à leur tour. Nous pouvons peut-être affirmé ici que ces modèles légitimes l’intimidation aux yeux des enfants, pour autant qu’un faux résonnement soutienne cette intimidation, que la personne intimidé le mérite.
Une autre étude faite la même année (Bandura, Ross et Ross, 1963) examinait d’autres aspects. Dans cette expérience, trois groupes furent construits. Le premier observait des modèles agressifs dans la vraie vie. Le second était exposé aux mêmes modèles, mais sur une vidéo. Le troisième groupe fut exposé à un dessin animé où les personnages étaient agressifs. Les groupes expérimentaux furent divisés entre garçons et filles et chacun des sexes subdivisés encore une fois. La moitié des garçons et des filles dans chacun des groupes était exposée à des modèles de même sexe alors que l’autre moitié à des modèles de sexe différents des leurs.
La deuxième partie de l’expérience consistait à tester les participants sur leurs comportements d’imitation ou de non-imitation dans différentes situations expérimentales alors que les modèles étaient absents.
Les enfants qui étaient dans la condition expérimentale d’observation de sujet agressif dans la vraie vie étaient amenées, individuellement, dans une pièce où l’expérimentateur l’invitait à aller s’assoir dans un coin où une petite table était installée et sur laquelle étaient déposés des tampons encreurs, des collants de couleur ainsi que du papier de couleur. Le modèle, lui, était placé près d’une petite table dans un autre coin de la même pièce. Sur cette table étaient posés un « tinker toy », une valise ainsi qu’une poupée gonflable Bobo.
L’expérience commence lorsque l’expérimentateur sort de la pièce. À cet instant, le modèle commence à assembler le « tinker toy » pendant environ une minute et termine le montage. Ensuite, il se tourne vers le jouet gonflable Bobo et commence à l’agresser, tout d’abord avec des gestes que l’enfant n’était pas capable d’effectuer. Ensuite, il émit une série de comportements distinctifs qui allait être notée comme étant des comportements d’imitations : s’assoir sur le jouet gonflable et lui donner des coups de poing sur le nez, lui donner des coups de marteau sur la tête, le lancer dans les airs avec agressivité et, finalement, le frapper du pied jusque dans le fond de la pièce. La séquence de mouvements agressifs était répétée trois fois en émettant un langage verbal agressif.
Les sujets du deuxième groupe étaient chacun amenés dans une pièce où ils pouvaient s’amuser avec les mêmes jouets, mais à la place du vrai modèle, une séquence vidéo montrant le même scénario était présentée.
Les sujets du troisième groupe étaient assis devant une télévision qui était à 3 pieds d’eux environ. L’expérimentateur allume la télévision en mettant une chaine de dessins animer, pour ensuite quitter la pièce. Le spectacle que voyait l’enfant était en fait le modèle déguiser en chat, dans un décor rappelant les dessins animés, avec du faux gazon, des oiseaux, de la musique et un commentateur caractéristique des dessins animés. Le modèle déguisé faisait subir à la poupée gonflable Bobo les mêmes sévices que dans les deux autres groupes, à l’exception que les gestes du modèle étaient d’inspiration féline.
Chacun des enfants des trois groupes était amené, par la suite de leur exposition au modèle, dans une pièce adjacente où les éléments de la table du modèle étaient posés et où l’enfant pouvait jouer. Les comportements des enfants étaient alors observés. Les résultats furent les suivants :
Les enfants du groupe auxquels ont avaient montré le modèle agressif
Dans le livre « Les âges de la vie » (2003), Helen Bee et Denise Boyd dressent le portrait du développement de l’agressivité durant l’enfance. Entre autres, bien qu’il semble bien y avoir une tendance innée à la violence, ce genre de comportement peut se voir renforcer suite à l’expérience. Elle cite l’exemple des parents qui renforcent leurs enfants à avoir des crises et des colères en cédant devant eux lors de celles-ci et en leur donnant ce qu’ils désirent. Elles dressent aussi le portrait de Gabrielle qui pousse Véronique dans le but d’obtenir le jouet de cette dernière et qui l’obtient. Elles précisent qu’« [en se répétant, cette] mécanique de l’apprentissage et du renforcement joue un rôle vital dans le développement des modèles de comportements agressifs. »
De l’utilité de l’agressivité
Daniel Baril nous présente, dans un article paru dans Forum, le chercheur Richard Tremblay, titulaire de la Chaire de recherche sur le développement de l’enfant [de l’Université de Montréal]. Pour ce dernier, l’agressivité est « […] une donnée fondamentale de la force des humains et un monde sans agression physique ne serait pas forcément le paradis. » Son résonnement est que nous sommes phylogénétiquement programmés à être agressif et qu’il nous faut apprendre à maîtriser notre agressivité par la socialisation. Il précise aussi que l’agressivité est à son apogée autour de l’âge de vingt mois et qu’il diminue par la suite, et cela même s’il est en présence de violence durant les années suivantes.
Dans cet article, M. Tremblay ajoute : « Même les tempéraments les plus agressifs arrivent à contenir leur agressivité s’ils ont été bien encadrés […]. Il est extrêmement rare que la socialisation ne puisse rien contre l’agressivité si le milieu a permis un apprentissage adéquat au départ. »
Dans cet ordre d’idée, il est à penser que l’agressivité qui est manifestée à l’âge adulte résulterait, outre celle émanant de certains troubles psychologiques, d’une socialisation trop permissive de la part de modèle incapable de contrôler leur propre agressivité ou d’imposer avec rigueur des limites à leurs enfants.
L’éducation aux comportements prosociaux : une piste de solution ?
Cela nous mène à répondre à une question fondamentale dans la défense de notre thèse : comment socialiser adéquatement les enfants pour qu’ils développent les habiletés nécessaires à un comportement non agressif ? Il semble qu’une partie de la solution se retrouve dans le développement des comportements prosociaux.
C’est du moins ce qu’affirment Helen Bee et Denise Boyd (2003), en résumant les résultats de plusieurs études en lien avec le développement de l’ouverture à l’autre et de l’attitude altruiste chez le jeune enfant. Elles font état de cinq constats :
Premièrement, les parents devraient s’efforcer de créer un climat familial chaleureux et fondé sur l’amour. Les parents chaleureux, réconfortants et attentifs aux besoins de leurs enfants ont des enfants qui démontrent les mêmes qualités.
Deuxièmement, expliquer les conséquences des actions que l’enfant pose et établir des règles claires. Ainsi, les parents favorisent le passage de l’égocentrisme à la prise de conscience des sentiments et des pensées des personnes qui les entourent.
Troisièmement, apprendre à l’enfant à reconnaitre les comportements dits altruistes. Ainsi, le parents aide l’enfant à construire son modèle interne en reconnaissant des qualités que l’enfants démontrent. Cette stratégie efficace vers l’âge de sept et huit ans puisque l’enfant commence à comprendre ce qui compose sa personnalité.
Quatrièmement, développer chez l’enfant son intérêt pour les actions utiles. Quoi de plus symboliquement altruiste que d’offrir aux plus démunies d’aider aux tâches ménagères, d’aider les enfants malades ? Ces actions, suggéré aux enfants, sans pression, en favorisant le sentiment chez l’enfant qu’il le fait suite à une décision personnelle.
Enfin, démontrer par le comportement parental un modèle de générosité et d’attention à l’autre. Les enfants apprennent beaucoup par l’observation des modèles, comme nous l’avons vu dans deux études citées plus haut. Alors, pourquoi ne pas commencer par le début, c’est-à-dire en montrant l’exemple aux enfants en adoptant les comportements et attitudes que le parent veut voir apparaitre chez son enfant ?
Cette façon de voir l’influence positive que peut avoir le donneur de soins chez l’enfant est intéressante sous plusieurs aspects. Tout d’abord, elle part du principe que l’apprentissage est possible et qu’il est possible de changer le cours des choses, que l’agressivité, bien que présente, peut être contrecarré par l’adoption de nouveaux comportements.
Conclusion
Tout au long du présent texte, nous avons prétendu que les comportements agressifs étaient utiles à l’adaptation sociale normale de l’individu, qu’ils étaient innés mais qu’une modulation était nécessaire par le processus de socialisation dans le but d’atteindre à des comportements prosociaux utiles aux relations personnelles satisfaisantes, brèves, qu’il y avait une composante d’apprentissage dans ce processus. Pour ce faire, nous avons présenté deux études de Bandura. Bien entendu, nous ne prétendons pas que les tragédies qui surgissent trop fréquemment dans l’actualité soient entièrement imputables à l’agressivité qui mine trop souvent la vie sociale des gens victime d’intimidation. Le suicide est souvent plus complexe. Par contre, ces événements ont mis à jour des situations que plusieurs refusaient de voir et de nommer. En la nommant, la société québécoise va peut-être être amenée à se questionner sur la violence qu’il y a en son sein et à prendre les moyens qui lui font défaut afin de socialiser différemment ses jeunes citoyens. Dans cet ordre d’idée, il serait intéressant de construire un programme de promotion des saines attitudes interpersonnelles et de prévention de l’agressivité auprès de la population, afin de les socialiser différemment.